Déstigmatiser la 'non-exclusivité' relationnelle

Photo by Brooke Lark on Unsplash

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Nous avons découvert Lauren Mary sur Instagram il y a quelque temps. Dans son podcast, Amours Plurielles, elle nous encourage à prêter une oreille, sans poser de jugement, sur le potentiel amoureux humain. On y parle polyamorie, polyamour, non-exclusivité, libertinage... On y parle d’amour, de sensualité, et d’épanouissement. Lauren nous invite à considérer les différents cadres amoureux possibles alors que la plupart des sociétés valorisent les relations monogames. Quand bien même nous pouvons en avoir plusieurs dans une vie, on met l’accent sur un binôme à la fois.

À travers des témoignages ouverts, simples, honnêtes, on est amené à se poser des questions sur les vastes possibilités que nous offrent nos vies relationnelles. L’expérience humaine va au-delà des valeurs avec lesquelles nous grandissons, dictées par nos parents, notre entourage, notre société ou religion.

Enfin on en vient à se poser quelques questions. Sommes-nous faits pour être monogames? Pouvons-nous envisager de briser les murs qui encerclent nos relations humaines et qui nous dictent comment, et combien aimer?

On arrive à tirer une conclusion simple en écoutant les témoignages sur le podcast Amours Plurielles: l’épanouissement est quelque chose de propre à chacun. Il n’y a pas deux relations pareilles, et là, avec bienveillance et ouverture d’esprit, Lauren nous guide de sa voix chaleureuse, vers un monde de possibilités.

On peut observer dans les mentalités de plus en plus d’ouverture en ce qui concerne les genres et les orientations, mais il semble encore que la pluralité relationnelle fasse l’objet d’un grand tabou, et d’une sérieuse méconception. C’est pourquoi chez Green Condom Club, on a voulu parler à Lauren et poser des questions par rapport à son podcast, mais aussi en savoir un peu plus sur la pluralité amoureuse.

Voyez ses réponses ci-dessous. Et retrouvez-la sur son Podcast, ou en ligne sur Facebook ou Instagram!

Tu as commencé le podcast Amours Plurielles récemment (avril 2019). Quelles étaient tes motivations et comment as-tu démarré?

LM: Cela faisait quelques mois que je souhaitais lancer mon podcast, passionnée par la voix et les relations. À l’origine, ce sont mes études en sciences humaines (philosophie, psychologie) qui m’ont poussé à m’intéresser de près à la vie affective, et bien sûr, mes expériences personnelles.

J’ai démarré très simplement avec mon enregistreur, mon micro et ma passion. Basée en France, j’essaie de voyager un peu et ne pas rester dans ma ville d’origine. Ce sont essentiellement des échanges avec des personnes de la communauté polyamoureuse qui m’ont donnée l’envie de les partager. Ce sont des témoignages que je n’avais jamais entendu hors de ces cercles, mis à part vulgarisés dans les médias et associés au consumérisme sexuel. Je sentais que cette vision n’était pas juste.

Toutes ces rencontres m’ont tellement ouvert l’esprit que je me suis dit que je pourrais, avec les participant.e.s de ce podcast, donner à entendre ces voix et mieux informer, voire éveiller.

Avant tout, je souhaite faire entendre les paroles de chacun.e, dans le respect et la bienveillance. J’invite les auditeur.ice.s à suspendre leur jugement, écouter même si iels ne se retrouvent pas dans certaines expressions, certains propos (dans la mesure où ils ne sont pas discriminants). Également, il m’est très important de ne pas exclure les personnes monogames; j’ai d’ailleurs pour projet de leur donner aussi la parole.

Autant que possible, je prête attention à la diversité de mes invité.e.s. Je suis sensible à la pluralité en termes d’orientations sexuelles, d’identités de genre, de classes sociales, d’ethnicités, d’âges… La sexualité et l’amour se pratiquent avec un éventail infini, et ne se réduit pas au schéma hétérosexuel exclusif.

Cela soulève un très bon point et ouvre vraiment sur un débat beaucoup plus humain. Sommes-nous voués à n'aimer qu'une seule personne (à la fois)?

LM: Il est indéniable que la culture et notre éducation orientent notre manière d’aimer. Par exemple, on envisage aisément d’avoir plusieurs ami.e.s, en revanche l’Amour avec un grand A serait unique. L’expérience concrète prouve qu’on peut être amoureux.se de plusieurs personnes. Mais c’est en fonction de chacun.e et de ce que l’on met derrière le mot «amour». Il y a les concepts, et puis il y a la réalité. En vérité, on peut remarquer que beaucoup de personnes sont amoureuses de leur meilleur.e ami.e mais comme c’est dans la case « amitié », cela ne remet pas en cause l’Amour unique. Alors que dans les faits, c’est discutable.

Comme me le faisait remarquer justement un ami, l’ouverture sexuelle est plutôt tolérée chez la population jeune. En revanche, l’ouverture affective paraît inconcevable dans une sphère monogame comme la nôtre.

Ensuite tu parlais de ta passion pour la voix. Peux-tu plus développer sur cette passion en relation avec ton podcast?

LM: Pendant mes cours professionnels de théâtre, j’ai été amenée à travailler ma voix, pour qu’elle «porte». Aujourd’hui, je la préfère au naturel. Je prête attention à ce qu’elle ne soit pas monotone. Bien entendu, j’ai intégré certains codes radiophoniques. Mais je n’ai pas envie de jouer un personnage dans ce projet. Je suis juste ‘moi’, et globalement, j’adopte le ton que j’ai dans la vie réelle.

Ma passion pour la voix est venue de la musique et de mon hypersensibilité aux sons. Ce qui me touche le plus dans les œuvres culturelles (cinéma, musique, théâtre, lectures de textes… etc.), c’est la voix – et la respiration. D’ailleurs, quand j’écoute quelqu’un, je prête d’abord attention à la sensorialité de sa voix, parfois même plus qu’aux mots. Je suis très sensible à l’ASMR ‘Autonomous Sensory Meridian Response’ (sans surprise) et aux pièces radiophoniques en règle générale.

Une personne polyamoureuse, c'est quoi exactement?

LM: Difficile à dire car chacun.e possède sa définition propre. Par ailleurs, certain.e.s n’aiment pas le terme «polyamour», et préfèrent «non-exclusivité», «non-monogamie», «polyamorie», «couple libre» (etc.) pour exprimer au fond la même chose.

Par définition, le polyamour est la capacité d’aimer (amoureusement) plusieurs personnes en même temps et de vivre ces relations dans un consentement libre et éclairé avec plusieurs partenaires. Il ne s’agit donc ni d’infidélité ni de tromperie. Le polyamour est une orientation relationnelle, qui peut regrouper plusieurs orientations romantiques, et sexuelles.

Peux-tu nous aider à comprendre un peu mieux les différents termes utilisés, et leurs différences?

LM: Polyamour est la traduction française pour “polyamory” qui signifie éprouver de l’attirance pour plusieurs personnes à la fois. 

Ainsi, certaines personnes du milieu poly tiennent à ce que l’on dise “polyamorie” au lieu de “polyamour” car dans “polyamour”, il y a cette notion d’amour, qui n’existe pas dans le terme anglais “polyamory”. D’autres, au contraire, aiment le mot “polyamour” parce que l’amour y figure. De manière générale, c’est le mot “polyamour” qui est souvent repris dans les médias, les livres.

Quand on parle de “non-exclusivité” ou de “non-monogamie”, on se situe davantage dans un spectre, souvent très large (“coups d’un soir”, “sex friends”, relations platoniques, amitiés sensuelles, histoires d’amour, couple parental...etc). Par ailleurs, certain.e.s sont anarchistes relationnels c’est-à-dire qu’iels n’établissent pas de hiérarchie entre leurs relations.

Les termes “couple libre” ou “relation libre” sont le plus souvent utilisés pour parler d’un couple amoureux, engagé qui s’ouvre à d’autres expériences sexuelles mais pas forcément affectives. 

Chacun.e aime à se définir sous un terme (ou pas) mais dans l’expérience, les frontières sont assez poreuses. Par exemple, on peut se dire en couple libre mais être très engagé.e sentimentalement avec une autre personne - sans vouloir appeler cela du polyamour.

Il y a une sorte de résistance chez les personnes qui se disent monogames, à reconnaître qu'on puisse potentiellement aimer plus d'une personne à la fois, de manière physique et émotionnelle. Est-ce, selon toi, une limitation sur les possibilités relationnelles humaines?

LM: À mes yeux, s’obliger à aimer UNE personne est limitant, oui. Mais ce qui est encore plus limitant, c’est de se mettre dans des cadres de pensée. Certains mots nous aident à nous comprendre, c’est certain. Mais pour moi, l’essentiel est de vivre, tout simplement. Aimer une, deux, trois personnes ou aucune, peu importe. Tant que c’est sincère, dans le consentement mutuel, tout est possible. Vraiment, tout est possible.

Tes podcasts sont des témoignages personnels d'individus en situation non-exclusive, on y parle du côté affectif, mais aussi de sexualité. Quelles sont, d'après toi, les choses importantes à retenir? Quel est le message principal de celles et ceux que tu interviewes?

LM: L’essentiel à retenir de tous ces témoignages à mon sens est l’amour et le respect qui y règnent. Cela contredit, je trouve, tous les préjugés véhiculés par certains médias, intégristes et idéologues.

Chaque personne qui se confie à moi a souvent des messages à transmettre – je vous invite pour cela à les écouter. Pour ma part, j’expose très peu de choses de ma vie personnelle, par choix. Je le ferai peut-être ultérieurement mais ce n’est pas mon objectif actuel.

Mon ambition aujourd’hui est de faire entendre une sexualité positive, décomplexée et consensuelle, une vie amoureuse plurielle (qui a aussi ses hauts et ses bas) et d’inviter à déconstruire les discriminations, même sous leurs formes les plus ordinaires, quelles qu’elles soient. Je ne cache pas mon militantisme pour les luttes LGBTQIA+ et le féminisme (intersectionnel). 

C’est un réel enjeu pour moi, avec ce podcast, d’être inclusive dans ma manière de parler d’amour. Je veux vraiment être dans autre chose que l’évidence normative “homme + femme = monogamie + mariage + enfants” (sans oublier cisgenre bien entendu). L’hétérosexualité n’est pas une évidence, tout comme la monogamie, ni le désir d’enfants. Entendons (enfin) d’autres expériences sans les mettre dans la case “hors normes” ou “coming-out” (= par ex, déclarer sa bisexualité). Ce n’est pas hors-norme d’être homosexuel.le, ce n’est pas étrange d’être polyamoureux.se. Inventons ensemble d’autres manières de parler de nos relations!

Quel est le jugement porté sur les relations plurielles, et pourquoi est-il nocif?

LM: Les monogames intégristes et condescendant.e.s, souvent porté.e.s par une morale sévère et négative à l’égard de la sexualité, sont très critiques sur les relations plurielles. Une remarque «phare» étant: «vous n’aimez pas vraiment, quand vous aimerez vraiment, vous n’aimerez qu’une personne »… Inutile de dire à quel point ces mots peuvent être blessants et oppressants. L’expérience concrète le prouve, il n’y a pas qu’une seule façon d’aimer (malgré le fait que l’on manque de vocabulaire pour exprimer les différentes formes d’amour qui existent).

On peut tout à fait ne pas se retrouver dans les relations plurielles et être épanoui.e dans la monogamie. En revanche, se positionner en tant que dominant.e est autre chose ; il n’y a pas de hiérarchie véritable entre le polyamour et la monogamie, malgré l’oppression exercée par certaines personnes exclusives.

Penses-tu qu'il y ait une plus grande stigmatisation des femmes non-exclusives, que des hommes?

LM: Il est plus accepté qu’un homme soit plus libre sexuellement. En revanche la liberté affective est beaucoup moins tolérée. Cela dépend des hommes – ils en parleront dans Amours Plurielles – et notamment s’ils subissent des discriminations. Malheureusement, pour les femmes, la liberté sexuelle est tout autant condamnée que la liberté affective, au profit d’un amour unique et de la maternité.

A ce que j’ai pu observer, la polyphobie touche tous les genres. Il a des couleurs singulières en fonction des imaginaires et des préjugés (y compris ceux qui ne sont pas liés au polyamour). Dans tous les cas, le mode de vie polyamoureux est très souvent associé dans l’imaginaire collectif à une vie sexuelle débridée, «une ambiance malsaine où tout le monde rencontrerait les partenaires de ses partenaires» (dans le cas d’un polyamour inclusif ou «kitchen table poly»).

La figure d’une femme non-exclusive alimente le mythe de la «salope» ; ultra-disponible sexuellement, séductrice, en recherche active de sexualité. Je ne rentrerais pas dans les détails mais pour avoir entendu certains échos, elles sont de véritables proies pour les prédateur.ice.s sexuels. Sur ce préjugé précisément, je pense que les hommes ne sont pas épargnés non plus; j’ai hâte qu’ils s’expriment sur ce sujet pour le podcast (même si n’oublions pas que socialement, une femme qui aime le sexe est mal vue alors que pour un homme, c’est considéré comme normal).

C’est donc un ‘oui’?

LM: Je pense que oui. Je n’ai pas de statistiques sur lesquelles m’appuyer malheureusement, une recherche sur le sujet serait très intéressante. Ajoutons aussi que certain.e.s féministes sont très hostiles au pluripartenariat. Cela nous divise aussi entre nous. Ce que je trouve très dommage! D’autant plus qu’il y a une réelle nécessité du féminisme dans ces milieux-là, souvent marqués par les abus et manipulations en tous genres – comme partout. Être polyamoureux.se pour certain.e.s serait être féministe en soi, et ce, sans déconstruire réellement le sexisme… Ce qui cause bien évidemment, des dégâts.

Tu penses quoi de la monogamie?

LM: Je pense que la monogamie peut être magnifique, épanouissante, profonde et vraie. Comme elle peut être une prison dangereuse et un moyen de domination patriarcale. Après tout, la monogamie n’est qu’un concept. A chacun.e de la vivre (ou non) et de s’exprimer sur le sujet! Il y a des manières plurielles de vivre la monogamie, comme il y a différentes façons de vivre les relations non-monogames.

J’ajouterais, qu’on ne peut pas nier qu’elle reste la norme et accompagnée chez certain.e.s d’une haine, réticence, intolérance vis-à-vis des personnes qui vivent des relations plurielles. Combien de fois ai-je entendu qu’être libertin.e, c’était «bien» quand on était jeune, immature, désirant.e, recherchant la «consommation» de l’autre… Le libertinage semble toléré (pas dans tous les milieux non plus) quand il y a une optique de mise en couple ultérieure. Les relations plurielles sont ainsi souvent instrumentalisées au profit de l'âgisme et de l’amalgame avec l’adultère.

Je pense qu’une monogamie «saine» et «libérée» est une monogamie qui s’est remise en question et a mis à distance les mythes du «grand Amour», du «prince charmant» typiquement patriarcaux. C’est mon avis personnel. Il ne faut pas croire non plus que les personnes non-monogames n’alimentent plus ces mythes (très vaste sujet…!!). Chaque personne est unique.

As-tu d’autres projets, en parallèle d’Amours Plurielles?

LM: J’écris beaucoup, essentiellement du théâtre et de la poésie. Je cherche à rejoindre des projets artistiques engagés qui font sens pour moi.

De plus, j’aimerais proposer, dans quelques mois, des séances d’accompagnement – pas uniquement réservées aux «couples» bien sûr – les configurations sont multiples! Malheureusement, beaucoup de psychologues (et al.) sont très imprégnés du cadre monogame et ne sont parfois pas d’une grande aide pour les personnes non-exclusives.

Si des personnes se sentent en confiance avec moi, avec mon projet, je serais ravie de pouvoir les accompagner dans leur vie intime.


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